Washington Irving, « A Contented Man », 1837

[L’écrivain américain Washington Irving (1783-1859) est surtout connu pour ses Contes de l’Alhambra et sa Légende de Sleepy Hollow. Il a séjourné à plusieurs reprises à Paris entre 1805 et 1824. Il a tenu un journal de voyage et envoyé des contes et nouvelles à des journaux, comme ce Contented Man, publié par la revue Magnolia en 1837.
La scène se passe dans la « Petite-Provence », située en contrebas du Jeu de Paume].

Dans le jardin des Tuileries se trouve un coin ensoleillé sous le mur d’une terrasse qui fait face au sud. Le long du mur, une rangée de bancs offre une vue sur les allées et les avenues du jardin. Ce coin génial est un lieu de villégiature à la fin de l’automne et aux beaux jours de l’hiver, car il semble conserver la saveur de l’été disparu. Par une matinée calme et lumineuse, il est très vivant avec les bonnes d’enfants et leurs petits protégés enjoués. C’est également ici que séjournent un certain nombre d’anciens, dames et messieurs, qui, avec la louable économie des petits plaisirs et des petites dépenses pour lesquelles les Français se distinguent, viennent ici pour profiter du soleil et économiser du bois de chauffage. Ici, on peut souvent voir quelque cavalier de la vieille école, quand les rayons du soleil ont réchauffé son sang jusqu’à ce qu’il soit comme une lueur, voltigeant comme un papillon gelé décongelé devant le feu, faisant une faible démonstration de bravoure parmi les dames surannées. Et de temps à autre, ils regardent les bonnes plantureuses de la crèche avec ce qui pourrait presque être pris pour un air de libertinage.

Parmi les habitués de cet endroit, j’avais souvent remarqué un vieux monsieur dont la tenue était décidément antirévolutionnaire. Il portait le tricorne de l’Ancien Régime ; ses cheveux étaient frisés sur chaque oreille en ailes de pigeon, un style qui sent fortement le bourbonisme [sic] ; et une file d’attente se dressait derrière, dont la fidélité n’était pas à contester. Sa tenue, bien qu’ancienne, avait un air de noblesse délabrée, et j’ai observé qu’il prenait son tabac dans une boîte en or élégante quoique démodée. Il semblait être l’homme le plus populaire de la promenade. Il avait un compliment pour chaque vieille dame, il embrassait chaque enfant et il caressait la tête de chaque petit chien ; car les enfants et les petits chiens sont des membres très importants de la société française. Je dois cependant remarquer qu’il embrassait rarement un enfant sans pincer en même temps la joue de la bonne ; un français de la vieille école n’oublie jamais ses devoirs au sexe.

J’avais pris goût à ce vieux monsieur. Il y avait sur son visage une expression habituelle de bienveillance que j’ai très souvent remarquée dans ces vestiges des jours les plus polis de la France. L’échange constant de ces mille petites courtoisies qui adoucissent insensiblement la vie ont un effet heureux sur les traits et répandent un doux charme du soir sur les rides de la vieillesse.

Lorsqu’il existe une prédisposition favorable, on noue bientôt une sorte d’intimité tacite en se retrouvant souvent lors des mêmes promenades. Une ou deux fois je l’installai sur un banc, après quoi nous touchâmes des chapeaux en nous croisant ; enfin nous arrivâmes jusqu’à prendre ensemble une pincée de tabac à priser de sa boîte, ce qui équivaut à manger du sel ensemble en Orient ; à partir de ce moment notre connaissance fut établie.

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